Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

pin-up.jpgAva Ventura, ayant lu les bonnes feuilles de Scarelife, pose quelques questions à Max Obione.

 

Scarelife qu’on peut traduire par La vie balafrée, pourquoi ce titre ?

Beaucoup d’auteurs l’affirment, quand ils ont l’initiative en la matière, le choix d’un titre est un véritable casse-tête. Un mauvais titre, comme une mauvaise couverture, n’engage pas le lecteur. De plus, c’est la plaque d’identité de l’ouvrage qui lui collera aux pages jusqu’au bout de sa vie de livre. J’ai longtemps hésité, celui que j’ai retenu est en fait le premier qui m’est venu à l’esprit, puis je l’ai abandonné au cours des mois, puis il est revenu sur le devant, les substituts ne collaient pas pour cette histoire d’écorché vif, en fait. De plus dans la sonorité, on entend Scareface, ça me plait !


Pourquoi choisir une nouvelle fois les USA ? Votre personnage ne pouvait pas voyager de Tourcoing à Marseille ?


C’est après Amin’s blues, mon deuxième roman « américain ». Ma prédilection d’écriture me porte à revisiter les archétypes du roman noir. Le roadmovie en l’espèce, fait suite à mon roman précédent consacré à la boxe et au blues dans de deepsouth. Imprégné par ailleurs de Kerouac, je n’avais pas de goût pour une trajectoire allant du pays des ch’tis aux quais du Vieux port de Marseille. De plus, le héros, scénariste de profession, écrit sur Goodis et non pas sur Manchette ou Izzo. Mais dans le prochain, promis, je reviendrai en Europe sinon en France.


En effet, Mosley écrit sur Goodis. Pourquoi ce choix ? Pourquoi pas Hemingway, dont la vie est éminemment romantique bien que toute aussi noire ?


Il y a chez Hemingway une dimension aventurière faite de flamboyance et de démesure qu’on ne retrouve pas chez l’auteur de Tirez sur le pianiste ! Dans le livre de Philippe Garnier sur la vie de Goodis, paru en 10/18, une enquête sans a priori et sans empathie au demeurant, on relève le caractère ambigu et insaisissable de Goodis, image de l’auteur loser qui s’éteint à 50 ans et dont l’œuvre largement ignorée du public américain a su séduire une large fraction du lectorat français. Le film de Truffaut a popularisé Goodis bien qu’il ait trop « franchouillardé » les personnages à mon goût. Ce qui me séduit chez Goodis, c’est une relative absence d’ambition littéraire, semble-t-il, c’est un besogneux, un tâcheron, qui tire à la ligne bien souvent, mais dont l’art paraît s’affirmer malgré lui à travers des figures de héros minables le plus souvent et des situations romanesques marquantes. La fin de son roman Le casse, que j’ai retraduit et qu’on trouve en citation dans Scarelife, est un extraordinaire morceau de littérature noire.

 

A mettre en rapport avec le handicap étrange, cette maladie de peau qui contraint votre personnage à cacher ses mains ? Ce handicap représente-t-il une signification particulière ?


Ce trait physique handicapant s’est imposé à moi sans y réfléchir, il m’a permis en fait d’introduire une dimension très humaine, de présence corporelle du fait du rappel fréquent de cette maladie de peau assez peu ragoûtante. Je ne lui donne pas de signification explicite, elle est peut-être subliminale, mais elle m’échappe encore.  

 

D’ailleurs, votre enquêteur est quasiment nain. « Minicop »… Avez-vous une tendresse particulière pour les physiques hors normes ? Son ex collègue est obèse, insuffisant respiratoire, un major de l’armée américain est tétraplégique. Amour pour eux, démesure, jeu avec les extrêmes ?


Je n’ai pas d’attirance ou de fascination particulière pour les freaks, les monstres de foire montrés dans le film de Tod Browning. Mes personnages sont ordinaires avec leurs différences physiques, leurs défauts ou leurs tares. Dans ma nouvelle Le petit légume, le héros Jean-Mi est un enfant tronc (assez freaks, celui-là effectivement), Omar Debussy dans Calmar au sang est un gnôme à roulettes, Abel Salinas, le détective de Gaufre royale mesure 2 mètres et pèse 150 kilos, hors norme donc, mais justement tout l’intérêt est dans ce décalage par rapport à la norme ? Le détective dans  Scarelife est un homme petit, juste la taille requise pour rentrer dans la police. D’accord, toutes ces figures rentrent rarement dans le cadre policé des polars formatés où nanas canons croisent des flics bien propres sur eux ! Mes esquintés de la vie, je m’en sers comme médiums romanesques qui tordent la réalité lisse des histoires. Il me faut des miroirs déformants, des aspérités, de la difformité, des distorsions de perspective, des certitudes qui flottent, des intrigues qui fuient et se terminent dans le sable. Dans la vraie vie, mes références visuelles me portent davantage vers Jérôme Bosch ou Breughel ou Goya ou Ensor que vers Raphaël ou Caravage. La grimace plus que le sourire m’inspire. Derrière le rire du grotesque surgit l’immense douleur des êtres. La grimace révèle la grâce du mal.

 

Pourquoi ce rapport au père si difficile ? Pour coller au personnage de Goodis ? Dans Gaufre royale, c’était avec la mère. Les traumatismes dans l’enfance ? C’est ça qui constitue le principal ressort de votre inspiration ?

 

Je ne suis pas adepte du freudisme à deux balles, c’est un lieu commun de dire que l’enfance est le brouillon de l’adulte, que la souffrance enfantine, que les traumatismes psychologiques ou comportementaux ou sexuels subis dans les premiers temps de la vie marquent au fer la personnalité en devenir. Au cas particulier, le fils rétif est aux prises avec un père religieux fanatique. Les dégâts sont considérables, les repères de Mosley sont détruits, une fois échappé de chez lui, il sombrera dans un nihilisme meurtrier. Il deviendra un fauve, un tueur froid. Il s’est tenu à carreau jusqu’au jour où le fatum lui retombe sur le coin de la tête Un seul moment dans le livre, il est touché au cœur, c’est lorsqu’il croise sur un parking, un petit môme enfermé dans une voiture au côté de sa mère qui vient de se suicider. En fait, cela le renvoie à son enfance massacrée à coups de préceptes religieux ineptes et émasculants.


Ce qui est glaçant dans Scarelife, c’est le manque absolu de remords, de sentiments humains tout simplement, quand le personnage principal commet des meurtres. Pourquoi autant de déchaînement ?


Nous sommes dans le même ressort que celui des personnages de De Sang froid, la criminologie décrit des assassins sans aucune espèce de sentiments à l’égard de leurs victimes. L’exemple relativement récent de Thierry Paulin, le tueur de vieilles dames est éclairant à cet égard. C’est un visage effrayant de la transgression qui nie l’existence de l’autre pour un profit immédiat ou pour jouir d’un spectacle morbide. Cette image du mal n’a de cesse de m’obséder.

 

Que répondriez-vous à ceux qui feraient la critique suivante : Scarelife est un roman de serial killer de plus ?


Je dirais qu’ils ont tout faux ! Le serial killer, criminel qui fascine, très en vogue actuellement, obéit à un mode opératoire identique et sacrificiel, où la dimension sexuelle est prégnante. Il assouvit une pulsion irrépressible. Ce n’est pas le cas pour Mosley, lui c’est au gré des circonstances qu’il commet ses crimes. Tueur à gages, condamné, libéré sur paroles, il est embarqué dans une série de meurtres, cette série n’en fait pas un serial killer selon la définition que donne Stéphane Bourgoin, me semble-t-il.


Max Obione, merci d’avoir répondu à mes questions.

 

C’est moi !

 

(janvier 2010)

Tag(s) : #Rendez-vous avec moi...
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :