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Interview par Yoland Simon, émission "Les rencontre du Livre", Radio Albatros (Le Havre) 94.3FM, février 2017

Ecouter (27'42)

Interview par Nicolas Caudeville, 6 septembre 2014, Festival du livre de Collioure.

Lors du Festival du livre de Collioure, Nicolas Caudeville, journaliste blogueur de Perpignan, plume acide et langue vipérine, m'a tendu son micro et a collé son œil malicieux à l'œilleton de sa caméra mouvante. Voici l'interview réalisé le samedi 6 septembre 2014, sous les platanes de la place du marché... un tour d'Obione en 10 minutes.

Le blog de Nicolas Caudeville

Clic sur le lien suivant pour voir l'interview.

https://www.dailymotion.com/video/x25ip0b_max-obione-auteur-editeur-interprete-interview-par-nicolas-caudeville_lifestyle#from=embediframe

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Nelly Buffon du webmagazine Envie d'écrire a interviewer Max Obione au sujet de Krakoen

Voir les vidéos (9/03/2010)

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Etat d'esprit...

Roger Balavoine m'a interviouvé le 1er décembre 2009 dans le cadre de son émission Etat d'esprit sur la radio RCF Haute Normandie.
Près d'une demi-heure de discussions à bâtons rompus sur mézigue et les éditions Krakoen.

On peut écouter l'émission ICI
Le site de RCF

« Vive le K-libre ! »

 

Aujourd'hui dans ma boîte mail, un message de Facebook m'informant qu'un article a été "marqué" par K-libre, le site polardier qui gagne grandement à être connu. Un simple clic sur le lien et la page considérée s'ouvre sur une interviou réalisée il y a plusieurs mois par Joël Jégouzo.


LE MAT, RAJA ET MAX OBIONE


Vendredi 20 mars 2009 - k-libre aime bien la coopérative Krakoen qui, sous l’impulsion de Max Obione, a fini par s’imposer dans le paysage éditorial comme une maison d’édition audacieuse, risquant là où d’autres campent, osant des veines, des styles, des écritures totalement dédiées au genre. Un collectif d’auteurs tardivement entrés en littérature, constituant une génération moins homogène par l’âge que cohérente par son goût des littératures policières. Sous l’impulsion de Max Obione, disions-nous, mais ce serait oublier que Max Obione est avant tout un auteur lui-même, et quel auteur ! Du pastiche du Poulpe au hard-boiled des milieux de la boxe, un auteur qui déploie un style d’autant plus étonnant qu’il n’hésite jamais à rompre avec lui-même. Krakoen réédite son Jeu du lézard , l’occasion de l’entendre nous parler de ce travail d’écriture si original.



k-libre : Krakoen réédite Le Jeu du lézard avec un nouveau visuel, pourquoi ?

Max Obione : La première édition étant épuisée, il s’est agi alors, soit de procéder à une réimpression, soit d’envisager une nouvelle édition revue et corrigée. Comme le visuel de la première couverture était trop "hard" (un type hurlant sur fond rouge) et paraissait rebuter les lecteurs, il a été décidé de créer une nouvelle couverture plus en rapport avec l’histoire : une villa isolée dans un village perché de Corse.

On y retrouve Le Mat et Raja, deux personnages récurrents qui vous sont chers. À ce propos, comment vous est venue l’idée de ces personnages ?
J’ai pensé que créer deux personnages aux caractères dissemblables allait donner une dynamique au récit. Rien d’orignal en vérité, on rencontre fréquemment ce genre de duo dans les romans ou le cinéma. Ce sont deux retraités : le premier est un lascar. Le second, au départ, est du genre coincé. Leur amitié est improbable, ils viennent de milieux différents et pourtant ils se vouent l’un à l’autre une indéfectible amitié, comme des raisons de vivre réciproques.

En réfléchissant, ne sont-ils pas les deux faces d’un même personnage ?
Ceux qui me connaissent bien savent que le mythe de Janus est sans doute celui qui m’inspire le plus. Le dédoublement de la personnalité est un grand classique en matière criminelle comme en matière romanesque.

Aviez-vous en tête déjà leurs aventures à venir ?
Non, pour ces deux premiers romans, j’ai joué l’éponge comme tout raconteur d’histoires. Je connais bien la Beauce pour y être né, c’est donc devenu le terrain d’aventures des Vieilles décences, pour Le Jeu du lézard, mon travail en Corse m’avait procuré pas mal de matériaux romanesques. J’ai fait feu du bois dont je disposais. Le troisième en gestation utilisera – si je l’écris un jour – mon expérience du milieu hospitalier.

Lorsque l’on construit des personnages récurrents, est-ce que cela modifie la façon de construire le récit de chacun des épisodes de leurs aventures ? Vont-ils vieillir par exemple, et vous, introduire cette problématique comme un thème propre à la série ?
Les deux romans ne sont pas construits à l’identique. Je ne m’interdis rien. Je n’ai pas de recette en cette matière. Voir vieillir Le Mat et Raja ? Encore faudrait-il que j’aie la moelle d’écrire un nombre important de romans avec ces deux papys récurrents. Donc la réponse est non. D’ailleurs, je ne sais pas aujourd’hui si j’ai vraiment envie de continuer à relater les aventures criminelles de ces deux personnages. Disons qu’ils ne me surprennent plus, que je connais leurs penchants, leurs réactions... Dans ces conditions, la manière d’écrire s’apparente davantage à un travail de bureau, il faut remplir les cases du plan et de l’intrigue, c’est moins drôle que le plaisir d’écrire au fil de la plume ou du clavier, sans savoir où l’histoire vous mène ou quel sera le devenir de tel ou tel personnage nouveau. Le côté démiurge de la création romanesque me passionne trop pour en faire une routine.

Le Mat et Raja, à la retraite, s’ouvrent un sacré champ de liberté. En dehors des clous bien sûr. Non conventionnels, ils récupèrent une partie de l’imaginaire du polar et du roman noir français des années 1950. Pourquoi au juste ? Un travail du négatif qui dévoilerait l’aujourd’hui, au chevet duquel se porterait – quelle ironie - des retraités ?
Banalement, dans nos pays occidentaux, à soixante ans et plus, libéré de beaucoup de contraintes sociales et familiales, la vie commence pour peu que le corps "exulte". Grâce aux progrès médicaux, aux moyens financiers dans le meilleur des cas, la longévité est un fait. Gare à l’inactivité qui porte à l’ennui et la viduité. Il m’apparaît que la vie sociale, telle qu’on l’observe autour de nous, regorge de retraités actifs, très actifs. Mes deux papys, aux caractères "eau et feu", sont des figures d’aujourd’hui.Le moteur des actions qu’ils entreprennent, c’est quand même l’insatisfaction qu’ils ont vécue dans leurs carrières respectives. La procédure pénale avec ses finasseries procédurales et l’appareil judiciaire tatasse ne leur a pas permis de réaliser leur désir de justice. Les gros fumiers courent plus vite que les branleurs qui encombrent les prisons. Si ces papys, "criminels" bonasses, font peur, car un dérapage justicier est vite arrivé, les nettoyages qu’ils entreprennent donnent du baume au cœur. Amoral ? Forcément noir, vous dis-je !

Pourquoi la Corse dans l’horizon de ce polar ? Elle est comme un temps mort – vilaine expression - un temps réouvert plutôt, une pause de lecture, une "profondeur" du récit ménageant une densité d’émotion très forte…
Quand on reprochait à Pagnol son tropisme provençal, il rétorquait que l’universel se trouve partout au pied de sa porte. La tragédie grecque se décalque dans les pièces de Pagnol. Alors, pourquoi la Corse ? Parce que j’y ai vécu quelques années me laissant envahir par cette nature fabuleuse et contraignante, me laissant séduire par des Corses merveilleux ou haïr par des connards sur lesquels on bute plus souvent qu’on souhaiterait, du fait de l’insularité. Le Jeu du lézard contient un point de vue de continental qui a honnêtement voulu saisir ce qui se joue dans cette île, à ma manière. Il y a aussi des choses personnelles touchant à mon enfance, à la pension chez les curés, à la carrière professionnelle qui dévore la vie sentimentale et familiale dès lors que vous n’avez que le travail pour unique horizon vital, il y a aussi la musique de la mort qui approche, la sourde certitude qu’il est trop tard et que le ratage de votre vie vous étouffe, qu’il n’y a que la progéniture et l’art qui conjurent sa propre disparition. Sans compter l’amour... qui peut surgir à tout moment, sans crier gare !

Dans ce roman, comme dans les précédentes aventures de Le Mat et Raja, vous vous laissez aller à des exercices de composition offrant des structures très construites. Le roman est-il pour vous le lieu d’une quête stylistique qu’il faudrait chaque fois renouveler ?
Absolument, le style c’est la vérité en littérature. C’est en tant que romancier que je me définis, je récuse le terme d’auteur et plus encore d’écrivain, je leur trouve un côté abstrait ou prétentiard ; romancier, c’est un métier de passion, pour moi en tout cas. Écrire des histoires avec des platitudes stylistiques n’offre aucun intérêt en ce qui me concerne. Sujet-verbe-complément, avec un adjectif pour le sel ou un adverbe ronflant pour la peur, je laisse la recette aux fabricants utilitaires des pavés formatés à la mode. Na !

Dans Les Vieilles décences, le narrateur était un écrivain débutant. Remarquez que c’est la situation de Proust, dans "La Recherche". Il est en quête d’un style, d’un ton, d’un registre, et l’on voit très bien chez vous comment prolifèrent ces styles et ces registres. Mais pourquoi introduire dans le récit même cette exploration des possibles romanesques ?
Dans les deux romans, l’ancien magistrat est le narrateur, il tient la plume des aventures que vivent les deux compères. Ce sont en premier lieu des romans d’apprentissage au plein sens du terme. On peut y voir des gammes littéraires. En second lieu, on peut considérer que le récit s’enrichit des divers angles d’approche et de regard. Le Mat possède un langage propre que Raja retranscrit méticuleusement. Cela donne une couleur, une vitalité au récit.

Votre goût de la littérature paraît aller à rebours d’un certain ton français, volontiers consommé dans l’autofiction. Vous, malgré les ruptures signalées, vous maintenez fièrement, presque d’une manière militante, l’exigence du récit. Un manifeste ?
Un romancier romance, son utilité sociale et culturelle est de raconter des histoires, celles de son temps ; son ambition principale est de distraire sans démagogie, si en plus le substrat sociologique forme un décor signifiant et si les problèmes de société affleurent sans être chiants, bingo ! Les codes du genre noir balisent l’exercice et ces garde-fous me satisfont, le "moijisme" psychologisant me déplaît, la fiction a besoin d’être ancrée dans l’expérience vécue et le réel social, quitte à jouer de la transgression du genre. Il ne s’agit pas d’écrire un tract. Dans Les Vieilles décences, j’évoque le danger des OGM. Et mes papys flingueurs résolvent la question à l’explosif… Au moins c’est clair !

Mais votre écriture ne s’y enferme pas. Ne s’y résout pas ? Elle dénote une sorte de romanesque néo-picaresque, un romanesque de la transgression. Toute proportion gardée, cela me rappelle Gombrowicz, qui refusait de se laisser enfermer dans une forme romanesque. Vous également ?
Ressasser la forme qu’on aurait arrêtée une bonne fois pour toute, en gros, quand bien même l’histoire diffère, écrire la même chose avec les mêmes outils, quel ennui ! J’aime me coltiner la forme et le style, je peux bosser quinze jours sur une phrase pour obtenir la meilleure musique, le bon rythme, le signifiant qui me parait enfin imparable. La structure narrative adaptée au récit, la modalité temporelle de l’action, la vérité comportementale des personnages, l’amalgame du tout, voilà ce qui me branche, sinon je n’écrirai pas. À soixante-cinq balais je n’ai plus le temps de m’ennuyer.

On devine aussi, au cœur de votre préoccupation littéraire, le souci de repenser l’aujourd’hui du monde à nouveaux frais. Et ce qui me frappe avec les Krakoen, c’est qu’on a affaire à une génération d’écrivains entrés "tardivement" en littérature - attention, cela n’a rien de péjoratif, au contraire ! Une génération qui invente, défriche, innove et qui, loin d’être usée, a quelque chose à nous dire de fondamentalement neuf… Rien de voulu, de programmé, semble-t-il, mais que l’on voit s’affirmer publication après publication. Est-ce une dimension éditoriale dont vous êtes conscient ?
C’est une grande ambition que vous nous prêtez quand vous évoquez "une dimension éditoriale". Cette prise de conscience ne peut venir que d’un regard extérieur. La tonalité du catalogue vient de la liberté qu’on s’est accordée pour accueillir des écritures non formatées, voire inclassables. Comment cela est-il arrivé ? C’est une affaire de tempéraments, de personnalités qui se sont rencontrées au sein de Krakoen. La formule coopérative s’y prête, d’autre part, on n’a pas de compte à rendre à des actionnaires âpres au gain. L’âge ne clive pas l’expression, il y a un temps pour tout, d’aucuns démarrent une carrière très tôt, d’autres sont plus lents à la détente. Joseph Bialot a commencé à publier à cinquante-cinq ans, comme moi. De jeunes romanciers tardifs ! Et comme, du fait de l’âge, le temps nous est davantage compté, la graphomanie peut nous saisir. De plus, on n'a rien à prouver pour occuper le devant de la scène, on fonce en toute liberté, imprégnés de notre passé, de nos vies, de nos lectures… et tant mieux s’il apparaît que nos "écritures" apportent du plaisir au plus grand nombre. La reconnaissance, c’est la cerise. L’important, c’est de croire en ce qu’on écrit sans se prendre la tête sur la réception attendue d’un lectorat qu’on ne connaît pas. La notion d’œuvre m’est étrangère, pour l’instant ma passion est intacte… "pourvou que ça doure !". Longtemps !

Accéder au site de K-libre >  ICI

Lire l'article de ce blog sur l'ouvrage réédité


INTERVIOU DE MAX OBIONE par JULIEN VEDRENNE sur le nouveau site K-libre

Max, l'utopique en action

Max Obione est un auteur de polar, éditeur à ses heures (non) perdues de Krakoen, un collectif original. Grand amateur du Poulpe, l'homme n'a pas hésité à le pasticher, mais aussi, et surtout, à le détourner. Comment détourner ce qui ne peut l'être, et qui prône l'anarchie ? Là est la question. Nul doute que Max Obione va s'efforcer d'y répondre dans ces quelques lignes. L'occasion pour tous les lecteurs et internautes de k-libre de (re)découvrir un auteur en marge d'un genre non moins marginal, au style, à la plume, affermis, mais aussi une personne dévouée à un genre, porteuse et défendeuse d'auteurs

k-libre : Max, tu m'as contacté par mail, en me disant que toi aussi tu voulais être lu et critiqué. Le contact est bien passé, et, de fil en aiguille, nous avons fait plus ample connaissance.
Max Obione : On dit communément qu’un auteur ne devient écrivain que lorsque quelqu’un lui achète son premier livre pour être son premier lecteur. Mais ce lecteur est un personnage lointain, mystérieux, souvent taiseux, qu’il retrouve parfois à l’occasion de salons ou de festivals, qui enverra un courrier ou un mail dans le meilleur des cas. Aussi pour le jeune auteur tardif que je suis, était-il important de situer la valeur de ses écrits, c’est pourquoi je voulais être lu, ce qui s’appelle lu, notamment par un critique qui dispose de références comparatives en la matière.

Mais comment en vient-on à créer une coopérative d’édition ?
À plus de soixante ans, j’ai besoin d’aller vite et comme les portes des maisons d’édition à qui j’avais adressé mes tapuscrits sont restées closes, j’ai donc décidé d’exister en créant avec deux amis une coopérative d’édition. Car la liberté d’expression est un concept creux, un leurre, sans l’accès à l’édition. Modestement, on voudrait que beaucoup d’initiatives comme la nôtre fleurissent ici ou là afin de fourrer des petits cailloux dans les chaussures des patrons du capital et autres marchands de canons qui se sont emparés du secteur de l’édition comme on se paye une poule de luxe ! On n’a cependant pas trop d’illusions sur notre capacité réelle à inverser le cours des choses.

Krakoen porte un nom bien étrange.
Au départ en recherchant un nom, on s’est focalisé sur Kraken, le calmar géant, le monstre marin des mythes scandinaves (n’était-on pas alors grand lecteur des éditions Baleines ?), mais cette marque était accaparée par beaucoup d’activités, alors on a rajouté un "O", tout bêtement. C’est impossible à prononcer, mais ça se retient, c’est le principal. Mais est-ce bien la vérité ? Chaque année pour le 1er
avril, un auteur Krakoen est chargé de rédiger un texte sur l'origine de Krakoen, chacun a sa version et c'est pas triste. On les trouve sur le site Krakoen.


Peux-tu nous expliquer simplement l’idée qui a prévalu pour créer votre coopérative d’édition ?
Pour expliquer Krakoen, j’utilise volontiers la métaphore de la coopérative vinicole. Outre que nos auteurs ne sont pas les derniers à cracher sur le jaja, je crois que l’image colle assez bien à la réalité. Comme les vignerons apportent leurs raisins à la coopérative du village afin que celle-ci les vinifie, des auteurs apportent leurs tapuscrits à Krakoen pour en faire des livres. Mais Krakoen n’est pas une auberge espagnole, n’y rentre pas qui veut, ne devient pas micro éditeur qui veut. C’est ce qui fait l’originalité de la formule. Krakoen n’est pas non plus une officine déguisée qui vend du compte d’auteur. Car Krakoen sélectionne la vendange, il ne prend ni les textes trop verts, ni ceux de mauvaises qualités. Si le cépage est noble, on améliore le jus, on retravaille la mouture… et au final on colle l’étiquette sur la bouteille. En cette occurrence, le micro éditeur, auteur du texte, c’est le vigneron, la coopérative rend tout cela possible en mutualisant son savoir faire dans le cadre de l’autoproduction éditoriale. Je rappelle que Krakoen ne poursuit aucun but lucratif et ne facture aucune commission pour ses prestations.

Est-ce que n’importe qui peut faire partie de Krakoen ?
Pour faire partie de Krakoen, l’auteur choisit de devenir micro éditeur acceptant le principe de la coopération ; pour ce faire, il doit être coopté par le groupe au vu de son projet. Cela étant, ma voix dans ce concert est prépondérante et dans le collectif, j’assume le rôle du boss. De surcroît, le nombre de coopérateurs ayant une production régulière ne saurait grandir indéfiniment. Une vingtaine d’auteurs est un nombre optimal, nous sommes dix-huit actuellement. Les adhésions à l’association coopérative ne sauraient dépasser cet effectif, au gré des arrivées et des départs, afin de préserver le caractère particulier de cette "maison" qui sort quatre à huit polars par an. Actuellement, le plan de charge de Krakoen est rempli jusqu’en 2010. Face au succès de la formule, on n’accepte plus de projet, ni d’auteur jusqu’à nouvel ordre. Le but de la manœuvre est de maîtriser l’outil en restant modeste dans notre organisation, de recourir au bénévolat autant que faire se peut dans un esprit autogestionnaire (oh ! un gros mot de vieux soixante-huitard, excuse-moi !), tout en revendiquant un professionnalisme des plus exigeant.

Depuis, Krakoen a pris de l'ampleur. Le catalogue s'est étoffé. Peux-tu nous parler de ses collections, de ses auteurs, de son futur ?
La collection inaugurale et dominante "Forcément noir" est consacrée au polar et au noir. Actuellement vingt-et-un titres appartenant à ce genre figurent au catalogue, cinq autres polars sortiront d’ici la fin de l’année 2009.
La plupart des auteurs ont un manuscrit en chantier. Ceux-ci sont originaires de tous les coins de France et de Belgique : Nice, Toulouse, Lille, Waterloo, Marseille, région parisienne et bien sûr quelques Normands ; si Krakoen est basé en Normandie, nous récusons l’enfermement régionaliste du polar dit régional dont l’intrigue se passe obligatoirement au pied de sa porte. Notre terrain d’aventures est plus large, sans frontière.

Et, Internet aidant, vous êtes devenus omniprésents sur la toile. Alors, c'est un bon vecteur de communication ?
Omniprésent ? C’est excessif me semble-t-il. Sans la micro informatique et Internet, je crois que rien n’aurait été possible à ce rythme : rencontrer les auteurs sur le Net, échanger une foultitude de mails et de fichiers, utiliser les logiciels de mise en page et de retouche d’images, créer un site Internet et le faire vivre au jour le jour… s’insérer dans la toile à partir des liens croisés, se référencer dans les bases de données de la chaîne du livre, recevoir les commandes via le Net, etc., etc. C’est donc plus qu’un vecteur de communication, c’est devenu un outil multifonctionnel qui démultiplie les capacités créatrices et les relations interpersonnelles. Notre site a été nominé dans Micro Hebdo en 2004 parmi les meilleurs sites du genre, depuis il explose ses coutures, il a besoin d'être repensé. C'est l'un de nos objectifs en 2009.

Les récits publiés sont surtout noirs, très noirs. De plus, l'exercice de style semble prévaloir sur les intrigues. C'est une volonté éditoriale ?
On n’a pas de ligne éditoriale précise, au sens de politique littéraire avérée et assumée, puisque les titres vont du noir radical au roman procédural de facture classique. Ce qui ressort de l’ensemble, c’est l’absence de formatage qu’on constate assez fréquemment dans le polar aujourd’hui. Tous les manuscrits édités sous l’égide de Krakoen ont été refusés par les maisons d’édition car ils ont été considérés soit comme atypiques, soit comme inaboutis. Nous, on rechercherait plutôt les impubliables qui rendent le genre vivant. Le côté atypique n’est pas pour nous un handicap, car il introduit de la diversité, le côté inabouti non plus, car on ne rechigne pas à accomplir une mise au point avec l’auteur qui de cette manière va progresser. Ainsi, le polar ancré dans l’histoire côtoie-t-il le polar au style social déjanté ; le roman noir revisitant les archétypes comme Amin's blues fraye avec le roman à trame whodunit.

J'avais été d'ailleurs surpris par ton ouvrage, Gaufre royale. Peux-tu plus particulièrement expliquer ton choix stylistique ?
Personnellement, j’affectionne la création littéraire en ce qu’elle réinvestit la forme ; ayant grâce à Krakoen une liberté absolue, j’explore le genre noir qui m’ouvre des perspectives infinies à l’intérieur du même registre. Ce qui m’intéresse au-delà de la phrase et du mot, c’est le travail sur la structure romanesque, c’est comment conduire un récit à l’heure notamment où le cinéma et la télévision omniprésents influent à l’évidence sur la syntaxe de la représentation fictionnelle. Raconter des histoires, fussent-elles palpitantes, dans un style raplapla ne m’intéresse pas. Il est peu fréquent de travailler le style dans le roman noir ; trop souvent l’auteur ou l’éditeur réclame une phrase utilitaire complètement assujettie par simplicité à la conduite de l’intrigue. De surcroît, les dialogues peuvent être assez pauvres et éloignés de la réalité sociologique des protagonistes.
Dans Gaufre royale, l’action réelle ne dure qu’une vingtaine de minutes, celle de l’attente du héros dans une file devant une marchande de gaufre précisément. Il me fallait trouver un moyen littéraire pour visualiser plusieurs niveaux de temporalité, car comment décrire cette boule de billard électrique dans le cerveau du héros qui renvoie du présent, à l’enfance, à l’enquête, et réciproquement. Pour décrire les avatars de la "folle du logis" pascalienne, j’ai donc utilisé une polyphonie narrative à base de sujets différents qui s’expriment tour à tour en enchaînant les épisodes de l’histoire marquée par une série de personnages. Le sujet "tu" succède au "il", au "je" et ainsi de suite sans logique apparente, hormis le rappel du passé du héros suggéré par un fait, une odeur, un bruit. Ce mécanisme classique de la réminiscence est acquis par le lecteur au bout des deux premières pages. Évidemment, le récit n’est pas linéaire, ce qui peut dérouter, aussi je déconseille de lâcher le livre qui doit se dévorer d’une seule traite en quelques bouchées.
En tout cas, en ce qui me concerne, je me suis bien marré à l’écrire. Dans mon roman Amin’s blues, j’utilise encore une forme romanesque en abîme avec un récit destructuré et des collages de documents.

Tu as publié sous le manteau un véritable Poulpe, et mis en place un pastiche - par ailleurs remarquable et touchant, qui prouve ton adhésion totale au concept. J'imagine que tu regrettes que l'aventure n'ait pas été à son terme. Éternel regret, ou moyen de rebondir ?
Bien sûr, je regrette la fin de cette aventure, du moins telle qu’elle avait été conçue à l’origine. Aujourd'hui elle repart... J’aurais tant voulu en être, au point comme tu le rappelles que j’ai commis un "hors commerce" pour les amis et un pastiche Calmar au sang qui exprime de fait mon admiration pour cette saga éditoriale inouïe. Car c’est ce concept qui m’a persuadé que je pourrais écrire, qui a donné l’impulsion décisive pour me lancer. En effet, quand la création bénéficie de contraintes si captivantes, les velléités peuvent dans le meilleur des cas se transmuter en quelque chose de lisible. Ce fut mon cas. La typologie et la caractérologie des "Poulpe" donnèrent un cadre qui ont balisé mes balbutiements en écriture lorsque j’ai écrit "ce" premier "Poulpe" perso. Après, les romans se sont succédés.

Tes coups de cœur Krakoen ?
Tous les auteurs publiés chez Krakoen sont des coups de cœur. Mais ce sont principalement les diamants noirs que je recherche. Jeanne Desaubry est une perle noire. Damien Ruzé, auteur de la nouvelle Hauts-Lieux dans le recueil Graines de noir fut pour moi une révélation. J’attendais son premier roman pour confirmer. Mais il ne donne plus signe de vie, malheureusement.

Tes coups de cœur non Krakoen actuellement ?
Blitzkrieg, dialogue fou et colérique, entre mon ami architecte Rudy Ricciotti et son pote Lombardo Salvatore, aux éditions Transbordeurs. Les sales blagues – La totale de Wuillemin (Albin Michel), un régal pour les zygomatiques. David Peace est un auteur important pour moi. Je décortique aussi Horace Mc Coy, je me régale de la transcription du temps de l'action.

Krakoen sort des recueils de nouvelles noires. À l'origine, la maison ne faisait qu'une collection poche de romans noirs. Elle semble se diversifier. Quelles sont les limites que vous vous donnez ?
Nous avons créé une collection transversale consacrée aux petites formes littéraires comme la nouvelle qu’on a dénommé "Court-Lettrages". Nous avons huit titres dans cette collection dont Graines de noir, Balistique du désir, Géographie du purgatoire, Stories of the Dogs. On ne s'interdit rien, on vient de sortir un recueil d'aphorismes La vie est beautyfolle, épatant.
Les limites, je les ai évoquées tout à l’heure : nombre d’auteurs limité. Cela dit, on ne s’interdit rien vraiment, Georges Hubel a écrit un polar pour la jeunesse, on a donc créé une collection qui a pour nom "Larpo et Rino", cette collection est ouverte à tous les autres auteurs Krakoen qui souhaiteraient explorer ce genre. La liberté, je te dis ! Mais on risque de tomber dans le piège de la dispersion, on doit en discuter collectivement pour installer une cohérence dans le catalogue.

En dehors de la toile, où Krakoen est-il visible, qu'en est-il en Normandie, au niveau national ?
Exister dans le paysage très encombré de l’édition est un véritable défi. Nous vivons les mêmes affres que n’importe quel éditeur repoussé dans l’enfer de la "petite édition", celle du troisième flux comme disent les pros. Si le Net donne une vitrine, il ne suffit évidemment pas. Si Krakoen poursuit sa professionnalisation (y a encore du taf, camarade !) et s'installe au sein des acteurs du livre comme une expérience originale, comme toujours les innovations troublent certaines institutions en place qui ont du mal à reconnaître cette nouvelle formule d'édition en refusant notamment leur référencement. Ainsi ELECTRE a objecté longtemps et expédié Krakoen dans l’enfer indifférencié et méprisé de l’auto-édition. Mais Krakoen fut tenace. Les responsables nous ont finalement admis au vu de la qualité des ouvrages et de notre professionnalisme volontaire. Les grands sites de vente sur le Net proposent également nos livres.

Qui vous diffuse et vous distribue ?
Nous avons un distributeur CALIBRE, spécialement créé par les syndicats nationaux de l’édition et de la librairie, pour distribuer les petits éditeurs. En revanche nous assurons nous même la diffusion par nos réseaux, nous préférons bâtir un réseau de cinquante libraires qui croient en nous plutôt qu’une mise en place sur mille points de vente à chaque nouvelle sortie, avec des retours assurés (et payants) quelques semaines plus tard.
Chaque microéditeur disséminé sur le territoire national fait office de diffuseur des collections dans son secteur. Nous avons encore droit parfois à la moue hautaine de certains acteurs du livres qui nous considèrent comme des vilains canards porteurs de virus (probablement), de retraités en mal de reconnaissance, des ENI, bref, ce n’est pas facile tous les jours d’assurer sa place au soleil. Mais, on s’en fout, on agit, on avance, on fait pour exister, et on existe pour faire. Pour le reste, on laisse les pleureuses se lamenter sur le vilain sort réservé aux auteurs maudits de polar… qui demeureront à jamais plongés dans la poubelle de l’édition. Quant aux grimaciers du milieu du livre, on leur tire la langue ! (Là, je reste poli !)

Quel est l'accueil des libraires ?
L’accueil des libraires est satisfaisant dans l’ensemble car l’objet livre qu’on présente sous le logo Krakoen est de qualité. Mais il y a tellement de sorties et la place dans les librairies étant limitée, nos livres comme ceux des autres n’ont pas le temps de "s’installer" que déjà les libraires effectuent les retours. C’est le lot commun des petits éditeurs et des autres, ce qui ne console pas, hélas !

Quel est votre meilleur succès et tirage ?
Les microéditeurs regroupés dans la coopérative n'ont pas d'actionnaires à beurrer avec des rendements à 15 %, l'équilibre économique est en général rapidement atteint avec la vente d'une centaine d'exemplaires sur un tirage à deux cents. Tout d'abord, tous les titres Krakoen sont des "longseller" avant d'envisager d'être des "bestseller", c'est à dire que l'auteur éditeur va défendre son ouvrage sur une longue période et à terme il n'est pas question que l'ouvrage finisse au pilon s'il n'a pas trouvé son lectorat au bout de trois mois. Pour répondre à ta question, notre meilleure vente a atteint mille deux cents exemplaires, en moyenne les ventes tournent dans une fourchette de six cents à huit cents exemplaires. C'est peu dira-t-on mais notre impact est nécessairement limité faute de moyens marketing. D'après nos renseignements, hormis les succès de quelques auteurs en vogue, le tirage moyen d'un polar, même d'un bon auteur, se situerait autour des mille cinq cents. Avec l'impression numérique nous tirons des petites séries de deux cents à trois cents exemplaires que nous réimprimons en fonction de la demande : donc peu de stocks et si le titre ne marche pas, la perte est limitée. La gestion a flux tendu, on connait donc.

Krakoen commence à apparaître dans certains festivals spécialisés, est-ce difficile également ?
Rien n’est facile pour une jeune structure comme la nôtre qui arpente un sentier non battu ! La lutte étant une longue patience, on arrive à convaincre petit à petit. Nos participations aux salons ou festivals nous donnent une visibilité allant croissant. Encore a-t-il fallu au départ décider les organisateurs, assez frileux dans l’ensemble ou peu avides de découverte, qui privilégient plutôt les valeurs reconnues de la planète polardière. D’année en année, on quémande de moins en moins une participation ; de plus en plus nos auteurs sont recherchés. Notre site annonce nos différentes participations. À cet égard, nous serons présents au prochain Salon du livre de Paris 2009 pour la cinquième année, sur le stand de la Normandie, grâce à l’Agence régionale du livre et des deux régions normandes. Nous serons aussi à Lens, Neuilly Plaisance, Mauves-sur-Loire, Caen, Rouen, et quasiment dans tous les festivals du midi, etc.
Faut-il souligner que la revue de la BILIPO Les crimes de l’année 2008 a sélectionné quatre de nos productions (Vice repetita de Hervé Sard, Rose blême de Jan Thirion, Stories of the Dogs, un collectif, et Mistral cinglant de Zolma) ? C'est super encourageant pour nous, que les professionnels de la lecture publique de polars nous aient sélectionnés. Par ailleurs, certains auteurs Krakoen dont les ouvrages ont été lus et appréciés commencent à signer des contrats d’édition chez d’autres éditeurs "classiques", tels Colette (Corlet), Zolma (Jigal), Demetz (Ravet-Anceau) et Membribe (Mare Nostrum, Syros). Souvent ce sont des rééditions des titres parus chez Krakoen. Nous sommes très fiers d'avoir été les premiers à les découvrir.
La reconnaissance arrive progressivement, nous ne sommes pas pressés. Bon nombre d’augures bien intentionnés ne donnaient pas cher de Krakoen au départ, mais force est de constater que pour le moment, au terme de cinq ans d’existence, on dure alors que beaucoup de petites maisons d’édition capotent malheureusement au bout seulement de deux ans. Je crois qu’il faut rester modeste, petit, s’installer dans les niches de clientèle visant la nouveauté, susciter l'envie, le désir, et surtout ne pas vouloir jouer grand train, notre modèle original fait de bénévolat et d’enthousiasme n’y résisterait pas.

Alors, on peut dire que ça roule pour vous ?
Pour le moment, l’enthousiasme prime dans notre petite fabrique de polars. L’intérêt que tu nous portes y contribue grandement. Sois-en remercié !
 

 

janvier-2009

 

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