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68 ce ne fut pas toujours le fumet des lacrymos, le romantisme révolutionnaire des barricades, un relent de Front populaire, ce fut aussi la grande peur des campagnes, la haine du rouge... qui s'exprimera dans les élections qui vont suivre... Je vous donne quelques lignes de ma nouvelle pour aiguiser votre appétit afin de vous plonger dans les récits et les histoires de cet espoir avorté contenus dans l'ouvrage qui vient de sortir chez Arcane 17.

Bunker

par Max Obione

Cinzano pesait sur les manivelles tel un furieux. En danseuse question style, certes, mais pas du genre ballerine des hauteurs. Ah, ce n’était pas du Charly Gaul, son style ! C’était plutôt bûcheron des Ardennes qui hache la cadence. Il te massacrait le pédalier, te cisaillait la chaine, te zigouillait le pignon, te déboyautait le pneu ballon, en basculant son poids, d’une pédale, sur l’autre, et réciproquement. Avec un souffle aussi court qu’un pet de lapin anémique, il grimaçait férocement. Ses mollets étaient tendus à un poil de la rupture ligamentaire. Il avait beau serrer les dents, tirer la langue, faire l’œil mauvais, question énergie, (faut pas se leurrer depuis que Cinzano se murgeait au bianco), on peut l’affirmer : le vermouth c’est vachement traitre dans les côtes.

Surtout quand tu te tapais un handicap qui s’appelait Cécelle. Recroquevillée dans la remorque rattachée à la selle de son biclou, elle pesait Cécelle. Moins qu’une truie de vingt mois, mais pas loin. Et elle saignait Cécelle comme si elle avait ses ragnagnas en inondation. « Y m’a flingué les ovaires, ce fumier ! » Si c’était vrai, ça ne pouvait pas le chagriner, le Cinzano, ça lui éviterait d’aller enterrer le fruit des entrailles de Marcelle tous les neuf mois derrière le cyprès au bout du champ Perchaud. Cécelle s’en désolait pour sûr : « Zano, il a pas de retenette, c’est misère à chaque fois ! » Cinq charançons à la mamelle, ça suffisait à leur malheur.

— T’as piqué des piles, j’espère ? 

— T’inquiètes j’en ai ! Appuie mon homme, je fais des gouttes sur la route…

— Putain, c’est la guerre !

Et si quelqu’un avait pu voir le sourire de Cinzano quand il a prononcé ces derniers mots, il aurait lu de l’allégresse sur ses lèvres. Ah, le maquis, ce n’était pas si loin dans le temps, il n’y a jamais que vingt cinq ans qui le séparent d’avec ces putains d’événements de Paris. Quand tu as douze piges au milieu des héros d’alors, que le feu d’artifice sur les rails, sous les ponts, sur les boches te mettait la tête en boucherie et qu’on te disait « Dégage, minot, va téter ta mère ! », et que l’aventure s’ouvre à toi aujourd’hui, tu te dis :

— Putain, c’est mon tour !

 

Cinzano n’avait pas repéré le fumier en question, le vigile du Mammouth, un gars pas franc du collier, et pas seulement du collier. Si vous repérez l’autre endroit où siège sa saloperie de mentalité de garde chiourme capitaliste, chien de garde du patron du pachyderme, prière de le signaler. Bref un enculé de première.

C’était au détour des lessives que le fumier avait voulu les coincer.  Plein les poches et les musettes, les boites alourdissaient leur fuite. Cinzano a shooté dans une colonne de barils d’OMO, patatras, le fumier s’est ratatiné dans la poudre. Ils ont calté sous les cris des caissières et des clients collabos tandis que le vigile a couru chercher un flingot dans son local. On ne savait pas qu’il avait un deux coups, du petit plomb, mais quand même.

 

Sur le parking, Cinzano avait déjà enfourché sa bécane, mis la remorque en ligne en bigornant une Dauphine. Cécelle peinait à courir avec ses bottes trop grandes et ce fut au moment où elle s’apprêtait à sauter dedans qu’elle a pris la gerbe fatale dans le buffet, en plein au-dessus de sa chatte. Quand Cécelle a regardé ses mains rouges de sang, elle a vomi la maudite mère du tireur :

— Fandepute constipée ! 


(La suite est à lire dans Sous les pavés la rage aux éditions Arcane 17)

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